A la découverte de l’œuvre de Solange Kowalewski - promenade d'initiation, Daniel Grataloup, 2015

A la découverte de l’œuvre de Solange Kowalewski – promenade d’initiation

Solange KOWALEWSKI…

Oui, Solange KOWALEWSKI,

Ce nom résonne comme un écho dans le monde de la Créativité.

Cette Artiste, qui maîtrise parfaitement toutes les techniques de la gravure, nous livre son âme, dans ses aspirations, ses tourments, ses espoirs.

La profondeur de son expression est fort bien rendue dans l’ensemble de son œuvre. Quelques exemples parmi bien d’autres : « lorsque la nuit parait » de 1981, « histoire de la caverne » de 2009, « d’image et de rêve » de 2010, « après l’orage » de 2012…

Solange nous entraîne dans ses mystères en les cernant « dans l’ovale » 1 et 2 de 2013, pour exciter davantage notre curiosité et percer une énigme, mais les estampes « sombre surface » 1 et 2 nous replongent dans le même état de stupéfaction.

Un frémissement intense nous saisit à la vue de « bleu dans la nuit » de 2010 et de « la magie d’un soir » de 2013…

La couleur revient de loin dans une qualité et une intensité rares avec « estampe bleue » de 2001, » impression en bleu » de 2005 et « portée dans le temps » de 2007, …. « où allaient-ils » de 2007, ces fantômes de l’âme ? Les découvrirons-nous depuis « derrière la fenêtre » de 2007 ?

Tout nous plonge dans une profonde méditation avec « l’appel du soir » de 2003 et « la nuit est belle » de 2004.

Ainsi s’achève cette journée de rêve et de contemplation que Solange Kowalewski a su, si généreusement, nous offrir.

Maîtrisant un grand nombre de techniques plastiques, cette artiste merveilleuse a pu, par son intelligence, sa grande sensibilité et son immense talent, s’exprimer parfaitement. Son œuvre, sensible, variée et considérable, fait d’elle une grande artiste de notre temps, incontournable dans l’Art de la Gravure.

Daniel Grataloup, Genève le 5 mars 2015

Les itinéraires de Solange Kowalewski, Yves Mairot, 2014

Les itinéraires de Solange Kowalewski

L’art de Solange K. s’impose tout d’abord par une maitrise technique dans les domaines aussi divers que le dessin, la peinture et toutes les variétés de la gravure.

On aurait donc tendance à s’arrêter à cette première impression et définir l’art de Solange K. comme l’expression la plus aboutie d’un savoir technique incontestable. Ce point de vue n’est pas inexact mais il masque – peut-être délibérément ? – d’autres aspects de l’œuvre plastique. Peut-être la rigoureuse dimension technique n’est-elle que l’effet d’une pudeur qui voudrait sauvegarder l’intensité de la vie affective… Or le détail des œuvres permet de percevoir des secrets qui apportent un autre éclairage lié à l’intensité de la vie subjective de l’artiste.

Ainsi le travail de Solange K. est-il , il me semble, le résultat saisissant d’une symbiose entre technique et subjectivité, entre rigueur et liberté expressive. Cette richesse diatomique, en générant richesse et diversité des interprétations personnelles, assure à l’œuvre de Solange Kowalewski sa longue et tranquille pérennité.

Yves Mairot, 2014

Les spasmes de lumière, Jean-Paul Gavard-Perret, 2013

Les spasmes de lumière

Les espaces striés de veines noires de Solange Kowalewski provoquent bien des interrogations. Surgissent des jeux d’ombres et de lumière. De lumière surtout sur les traces de cendre. Les incisions ressuscitent les morts. Mais aussi des vivants. Elles montrent l’attente et le trouble. L’envie tapie sous la poussière et émise contre le temps ou afin de le remonter. Les œuvres offrent le partage d’une solitude et sont le fruit d’une immense patience.

Retournant aux sources Solange Kowalewski donne un nouveau départ au monde. Elle est là. Avec lui. Voudrait qu’il aille un peu moins vite, un peu moins mal. Ces œuvres sont des soirs qui tombent. Restent une fragilité, dans la force, la force dans la fragilité loin de tout principe de narrativité. Le mystère est évident mais reste un mystère. S’y ressent néanmoins combien la créatrice lutte contre le temps et sa dépression. C’est là que tout recommence. L’éveil laisse le souvenir d’un songe. Il rend la fin de la nuit toujours incertaine dans l’attente du jour aux traits obscurs de la vie.

La nuit fourmille. Un astre parfois brille. La lumière emplit sa caverne. Le noir mystère de l’artiste l’illumine. Ces œuvres deviennent des pierres de lune ouvrant les portes du soleil. Manière pour elle de demander quels sont ses êtres qui se souviennent de leur oubli ? Leur feu se nourrit de l’ombre. Un trait sombre vient l’éclaircir, l’ouvre. Les lignes noires sont des fibres de lumière.

Jean-Paul Gavard-Perret, 2013

La fiancée de la gravure, Emmanuel Benador, New York, 2013

La fiancée de la gravure

Avec Solange Kowalewski, la gravure est constamment en action. Elle ne met aucune limite à son temps de travail et au nombre d’impressions. A chaque tirage d’une gravure en relief avant le passage de la presse à bras, la prudence et l’impertinence de l’encre grasse à taille-douce s’accoutument à sa main qui, en retirant le surplus d’encre, créé l’émotion recherchée.

La pointe dérive sur le cuivre et créé des effets de lumière, des tons de couleur qui alternent parfois avec des arrêts dociles.

Dans le processus du tirage, ce sont les chimères de Solange Kowalewski qui nous sont données à voir. La virtuosité d’une empreinte sur papier et ses divers états sont en effet le résultat d’un artisan qui modèle son art comme le sculpteur son plâtre.

Comment ne pas aller à l’essentiel, quand le temps échappe à l’encre ou au crayon ? La pointe, le berceau, le crayon prennent possession de l’espace du papier et s’agitent autour de l’œil malgré l’étroitesse de la composition.

Quand le travail est enfin terminé, est-ce l’irréparable que Solange Kowalewski dévoile au spectateur ? A regarder ses gravures, on éprouve toujours le sentiment de pouvoir « aller vers autre chose », une séparation qui n’est cependant pas un abandon. Reprendre et reprendre encore, c’est pour cette artiste une renaissance, un pain quotidien, une nouvelle lueur. A travers la reprise d’un travail antérieur de plusieurs années, elle pourrait nous dire : « Prends ma main, par qui ma pensée est pénétrable et par qui l’obscurité s’éveille ».

Emmanuel Benador, New York, 2013

Le poète a la main agile, Emmanuel Benador, New York, mars 2012

Le poète a la main agile

Le graveur s’adonne à chaque trait de ses doigts renouvelés

Combien de luxuriantes jubilations au sursaut d’un trait creusé sur le relief du papier faut-il pour devenir un Kowalewki ?

Cet incident va faire diversion et produire la gerbe d’une autre tension

Mais détient-elle un secret, un vent qui chante d’état en état ?

Ce parcours est l’œuvre de mouvements titubants qui ne s’achèvent jamais

Le jeu des blancs et des gris lui tend ses dégradés pour qu’elle se batte avec les formes

L’incident lui dit que c’est le juste milieu pour trouver des trésors

Brosser la plaque, et la main cesse de prendre la moulure de l’encre

Les coffres s’ouvrent et livrent les gammes d’un accordeur

Une étoile avait semblé oubliée au détour, un mur

A sa vue, pour nous, le Lange de la presse frissonne d’une note de Sol, avant d’emprunter la feuille de papier.

Emmanuel Benador, New York, mars 2012

Solange Kowalewski, Hann Burt, Genève, 2011

Solange Kowalewski

Lorsqu’on se trouve en face d’une œuvre d’art, on dispose de deux manières différentes d’appréhender le sujet. La première consiste à se laisser surprendre par sa force d’attraction ou de répulsion, indépendamment de la personnalité de son auteur, c’est ce qu’on appelle communément « le coup de foudre » ou alors c’est le rejet. Cette approche est subjective, voire narcissique. C’est un pas irrationnel du « moi ». Les attributs de beauté et d’émotion de l’œuvre suscitent alors en nous une certaine exaltation, une jubilation, un émerveillement. Cette phase émotionnelle est exclusivement individualiste. Un moment de séduction qui fait frémir deux êtres qui ne se connaissent pas.

La deuxième est aux antipodes de la première : elle est plus lente et plus longue à germer. Elle n’a pas la spontanéité de la première. Elle se traduit par un questionnement intellectuel et objectif. Elle demande du temps et de la réflexion. Elle est moins intuitive. Alors me diriez vous, si vous êtes indécis, comment faire, comment se tirer d’affaire ? La réponse est normande. C’est-à dire qu’il n’y a pas de réponse systématique à une telle question. De l’avis général, il vaut mieux se laisser emporter par sa vibration propre et son impression première. Une peinture, une gravure, est « une poésie qui se voit ». Et une poésie est une musique seulement audible à l’âme. Le premier contact est donc important car « le premier amour est le seul amour ».

La deuxième approche peut être biaisée, notamment par une influence inconsciente des tendances et des vagues nouvelles, par une faible connaissance ou insuffisante des œuvres d’art, par une incapacité décisionnelle aussi. Qui peut prédire un mariage durable avec une œuvre d’art acquise même après mûre réflexion ? Personne. Le mystère est qu’il arrive qu’un jour, hélas, nous devons nous défaire de ce nous croyions avoir passionnément aimé !

Solange Kowalewski… nous présente une partie de son œuvre. Une œuvre profonde, accomplie, originale, sortie d’un corps à corps avec une matière réfractaire, dure, entre le secret du vide et du plein, le clair et l’obscur, la forme et le fond, avec un désir surhumain de la transcender et la plier aux gestes et aux pensées, afin qu’elle délivre son message artistique. Même si son aspect extérieur nous paraît hermétique, rebutant, l’œuvre renferme une poétique sous entendue. Sa musique interne n’est pas aisément audible. Sa beauté non aisément visible. Donc, méfions-nous des conclusions hâtives. Selon Oscar Wilde « Le visible n’est qu’un voile devant l’invisible ». Par ailleurs, nous savons qu’aucun esprit de l’époque n’aurait prédit l’extraordinaire projection dans l’Histoire de l’Art d’un objet aussi banal que « L’Urinoir » de 1917 de Marcel Duchamp ! Objet dont la fascination demeure encore immuable de nos jours.

L’artiste, est à la fois ouvrier, technicien, artisan et maître. Elle connait tous les arcanes de son métier. Elle exerce sans compromis sa maitrise totale sur le papier, le cuivre, le zinc, ou le lino cher à Picasso. Du néant, du rien, du vide, elle sait en faire jaillir des courbes, des jets, des formes, des motifs, des paroles, des rires et des larmes.

Ce qui au bout du compte donne naissance au mouvement, paramètre de vie. Ainsi que le dit Henri Bergson : « la vie est mouvement », l’artiste est donc créateur de vie, d’une vie certes imaginaire dont elle est la seule créatrice et détentrice de la clef, mais elle sait qu’un jour cette dernière ouvrira la fenêtre qui nous éclairera de sa pleine lumière.

Jean Gênet dans son livre « L’atelier de Giacometti » nous rapporte le leitmotiv, le crédo, que l’artiste lui répétait sans cesse : « ma main vit, ma main voit ». L’artiste a donc un sixième sens que le commun des mortels ne possède pas.

Ce soir, l’artiste sera présente au vernissage de son œuvre. Elle répondra volontiers aux questions posées.

Hann Burt, Genève, 2011

Solange Kowalewski est mystérieuse, C.G.H.+, 2010

Solange Kowalewski est mystérieuse

Solange Kowalewski est mystérieuse.

Elle semble toujours descendre d’un train de nuit, le regard perdu dans un rêve sombre, zébré de lumières électriques.

Son travail lui ressemble étrangement.

Pour l’apprécier, il convient d’éviter la vision péremptoire du spectateur pressé.

Entrer sereinement dans ses compositions mystiques pour découvrir le grouillement du trait souvent enfoui sous des couches épaisses apparemment violentes.

Travail cérébral. Difficile et sans concessions aux idées du temps.

Très grande artiste qui nous aide à donner un peu de sens à nos angoisses.

C.G.H.+, 2010

Noires lumières, André Liatard, 2010

Noires lumières

Et la Lumière fut… origine de toute vie, de toute animation ?… origine du manichéisme dans lequel le blanc est le Bien et où le noir représente l’antre ténébreuse du Mal ? Le philosophe nous a appris bien sur que tout était plus nuancé et plus complexe. Le poète a exploré tous les extrêmes de cette dualité en y découvrant d’autres territoires insoupçonnés. Le peintre et le graveur nous traduisent dans le concret l’abstraction de tous ces espaces.

Et c’est ainsi que toutes les noires lumières sont identifiées dans leurs nuances et leurs chatoiements les plus subtils. Solange Kowalewski est l’expérimentatrice de ces domaines toujours plus vierges, « par delà le Bien et le Mal », tels que définis par Nietszche. Les techniques traditionnelles et innovantes de la gravure ainsi que les supports informatiques sont alors ses armes absolues.

Dans le trait, le faux-semblant métallique des aplats, au travers de toutes les valeurs du blanc et du noir, dans le positif comme dans le négatif, l’artiste semble en permanence décalquer les ombres chinoises de ses propres rêves et les contours de fantasmes plus universels et dominateurs.

Et le miracle opère : le noir s’éclaire, luisant ou amati, il prend sa vraie dimension colorée, être et non-être, vérité et faux-fuyant. Les formes s’animent en grappes ou massifs d’ombre, perçant la carapace de l’image par ces ténèbres illuminés. C’est « l’obscure clarté » de Corneille que l’on appréhende dès lors dans toute sa magnitude.

André Liatard, 2010

L’image est-elle reflet de l’objet…, Jean-Luc Daval, 2010

L’image est-elle reflet de l’objet…

L’image est-elle reflet de l’objet qui se présente à son miroir ou représentation du voir ? Photographie, elle donne l’illusion de ce qui a été ; dessin, elle manifeste la perception et la conscience de celui qui voit. Elle peut relever de la nostalgie ou de la révélation, être passive ou active…

L’abstraction est une conséquence de la reproduction photogénique dont on fit la démonstration en 1839. Jusqu’alors, la nature semblait l’inévitable référent de la peinture et l’artiste, en rabattant la profondeur sur la surface de son ouvrage, imaginait la perspective traduisant la place qu’il se donnait dans l’univers au moyen d’une construction à chaque génération différente. L’autre conséquence de la photographie fut la sacralisation de l’apparence dont la publicité et la communication se repaissent.

Au mirage de ce qui n’est plus, Malevitch opposa un Carré noir sur fond blanc. Il montra ce qui n’aurait pas d’existence en dehors des formes et des couleurs qui le réalisent. De Mondrian à Rothko, les abstraits sommèrent le vingtième siècle de choisir entre l’illusion de ce qui fut et la construction de ce qui advient. Solange Kowalewski a élu son camp !

Depuis, le numérique a même travesti la photogénie en la libérant du visible au profit de programmes s’y substituant…

Le geste du photographe s’assimila à celui du chasseur aussi longtemps qu’il fallut viser. L’informatique supprima le support du film. De fusil, la camera se transforma en antenne parabolique. L’extérieur s’y enregistra sans qu’il ne fut plus nécessaire de le cadrer. Le regardeur fut transformé en consommateur ! Il voit tout sans rien avoir regardé… Il ne s’approprie plus le réel, il y est immergé. Il n’expérimente plus ce qui s’offre à ses yeux ; il y substitue un modèle artificiel qui lui permettra de le faire ressembler à ce qu’il croyait en savoir !

L’œil avait permis de ramener le monde à l’échelle des possibilités et des désirs humains. L’évolution de la technologie en a illimité le champ, transformant l’acteur en récepteur. Il ne recherche plus l’information, elle l’absorbe. Les nerfs qui la véhiculaient se transforment en fibres où le courant en s’alternant neutralise la liberté de choisir… Couplée à l’internet, l’informatique a renversé les hiérarchies. La multiplication infinie des possibilités de classer dissout les paramètres justifiant le choix d’un classement. La dispersion du savoir contredit ce qui le structurait…

Noyé dans une visibilité que plus rien ne filtre avant qu’elle n’atteigne son subconscient, l’individu se laisse promener par les images pour ne plus parler leur langue. Seule la nécessité de les communiquer donnait la distance indispensable à leur critique !

S’exprimant à travers la peinture, Solange Kowalewski a perçu la nécessité d’enseigner aussi les règles qui articulent son langage. Elle doit apprendre aux autres ce qu’elle a personnellement conquis en s’appuyant sur l’exemple des créateurs qui l’ont précédée. Voir et faire voir sont indissociables, ça-voir et savoir aussi !

Les illustrations qui envahissent les publications, les représentations qui s’affichent sur les murs ou glissent sur les écrans donnent l’illusion de traduire la vie. Leur multiplication les a vidées de sens ! Chargées d’éveiller les désirs et les passions, elles ne transmettent plus que le reflet nostalgique de ce qui fut… Liées à la communication et à la publicité, ces illusions passent, ce qu’elles montrent restant étranger à ce qui les constitue ! Evènements, elles trouvaient leur justification dans l’actualité et la manifestation de leur contemporanéité. Privées de l’effet de surprise, archivées, elles finissent par ressembler à ces tessons que les archéologues trouvent dans le sol. Pour leur permettre de faire œuvre de mémoire, il faut les légender, monter, scénariser… La photographie est inséparable de son commentaire !

Les estampes de Solange Kowalewski parlent au contraire à travers ce qui les constitue !

Graver et dessiner participent d’un langage commun, partagent le même espace de communication. Sur une surface définie, les lignent se cherchent, se trouvent, se croisent, se superposent… Elles s’allègent ou s’épaississent, deviennent ombre ou lumière ! Elles construisent profondeur et espace ; bougent ou se figent, creusent ou avancent. La main ne reproduit pas ce que l’œil perçoit ; elle écrit sous la dictée d’un sujet. Elle fouille, explore, éclaire, hésite, révèle… Le geste a du caractère, de la personnalité ! Il traduit directement ce qui est pensé, senti, éprouvé. Il avoue ce qui ne saurait se dire s’il n’avait été inscrit !

Pour graver, il faut choisir le support de l’empreinte : métal, bois, lino, plastique… Il y a son travail à la pointe, au burin ; il y a les barbes, le vernis, l’acide … autant d’opérations restant secrètes avant que la presse n’inverse ce qui s’est tramé à l’aveugle. Il faut encore encrer, essuyer, caresser à la paume les pointes de lumière… Choisir le papier, son grammage, son grain, son satinage, sa teinte !

Vient la presse : serrer les rouleaux pour que leur pression épouse les creux sans découper la cuvette, cadrer le papier humide, déposer la plaque sans le salir, l’isoler de feutres, faire avancer le tablier en tournant la roue… Voir, revoir cette épreuve toujours insoupçonnée. Se l’approprier en reprenant la plaque ; épargner, brunir, recharger, réencrer… Multiplier les états, voir et revoir le développement d’une image latente qui ne se révèle qu’au tirage, qui manifestera ce dont on n’avait eu que l’intuition ! Ce qui avait été murmuré sur une surface ouverte à tous les échos, l’estampe l’avoue à voix haute. Aveugle, le graveur dialoguait obstinément avec une matrice qui, encrée, révèle ce qu’il ne savait pas encore.

Unique mais toujours différente, chaque estampe participe aussi d’une série à l’instar des toiles de Monet ayant pour sujet la Cathédrale de Rouen, les Meules ou les Nymphéas… Chacune manifeste un instant de lucidité, participe du récit d’être ici et maintenant. L’ombre y dialogue avec la lumière, les limites physiques du papier encadrent la conquête d’un espace intérieur…

« Ce carré noir que j‘avais exposé, écrivit plus tard Malevitch, n’était pas un carré vide, mais la sensibilité de l’absence de l’objet. Je reconnus que l’objet et la représentation avaient été considérés comme les équivalents de la sensibilité et je compris le mensonge de la volonté et de la représentation. »

De 1913 et jusque dans les années soixante-dix, il alla de soi que le langage s’émancipe de la tutelle du visible, que le peintre arrache « le monde des mains de la nature afin d’en construire un nouveau dont l’homme soit le maître ». L’histoire de l’art moderne ne retiendra que les œuvres affirmant l’autonomie de la création, la domination des formes naturelles, l’affranchissement des limites traditionnelles jusqu’aux all over de Pollock, aux monochromes de Klein ou aux Shaped Canvas de Stella. En déclarant en 1964 : « Ma peinture est fondée sur le principe que c’est seulement ce qu’on peut voir qui est là, c’est seulement un objet : ce que vous voyez est ce que vous voyez ». Stella mettait-il un terme à l’évolution du tableau ? La peinture qui avait permis aux peintres de se dire avait fini par se dire à travers eux… L’évolution du formalisme semblait l’avoir condamnée à perdre sa fonction de medium !

Ailleurs, la découverte de la finitude des ressources naturelles concluait les utopies du progrès, l’exotisme à la source du néo-primitivisme et le multiculturalisme prenaient aussi à revers l’évolutionnisme universaliste de la modernité…

Mais déjà, le sémiologue Umberto Eco se demandait, dans son livre « L’Œuvre ouverte », si l’art moderne n’aurait pas aussi une fonction libératrice et pédagogique en nous habituant à une continuelle rupture des modèles et des schèmes : « S’il en était ainsi, l’art contemporain viserait au-delà du goût et des structures esthétiques, et s’insérerait dans un discours plus vaste ; il représenterait pour l’homme moderne une possibilité de salut, la voie vers la reconquête de l’autonomie, un double niveau de perception et d’intelligence. »

Par ses origines, son éducation et l’enseignement reçu en Alsace, Solange Kowaleswki était prédisposée à s’opposer au déterminisme de toute régression. Le présent contient des promesses d’avenir si le regardeur sait s’observer quand il regarde, donner à voir ce qu’il pressent ! De Kandinsky à Newman, la peinture moderne a aussi mis en jeu du spirituel… !

Ses estampes ne sont pas « ouvertes » mais décentrées, comme l’était, dans l’étude pour l’almanach du Blaue Reiter, le rectangle portant le cavalier bleu de Kandinsky, ce porte-drapeau « du spirituel dans l’art ». Décentrées et asymétriques comme beaucoup de compositions suprématistes de Malevitch ou Van Doesburg, elles s’inscrivent dans la lignée des abstractions chromatiques de Rothko ou Geneviève Asse. Elles révèlent un équilibre gagné à force de travail sur tous les désordres, un instant de conscience où les couleurs du sentiment se confondent avec l’espace pictural. Les marges cernent le plan où s’affirment les contours d’une existence, l’intérieur d’un être qui refuse tous les travestissements du paraître…

Jean-Luc Daval, 2010